Persepolis

La cité de la peur

12 mai 17h14. Manches longues : check. Ass protector : check. Voile : check. Les portes de l’enfer s’ouvrent pour nous après deux petites heures de contrôle et de prise d’empreintes, tout ça sous les yeux bienveillants et omnipotents du regretté ayatollah Khomeini, le révolutionnaire exilé un temps en France et du vénérable Guide suprême du moment, j’ai nommé Seyyed Ali Khamenei, Ayatollah Khamenei pour les intimes.

Photo volée
Passées ces présentations avec nos deux acolytes, on s’engouffre sur la route qui longe la frontière avec l’Arménie, puis le Nakhchivan, enclave de l’Azerbaïdjan. La scène est remarquable. L’heure tardive donne aux montagnes une teinte orangée, et aux nombreux miradors un aspect féerique. A peine vingt kilomètres en Iran et déjà une invitation à partager le pique-nique d’une famille ainsi que trois contrôles de police, dont un pour ladite famille, invitée à ne pas trop s’attarder avec les étrangers que nous sommes. On s’installe peu de temps après dans le parc de la petite ville de Siarud. Je me rendors serein et confiant quand au cours de la nuit j’aperçois un militaire armé, posté rien que pour nous à quelques mètres de nos tentes.

Vers Tabriz
Charlotte, elle, est tellement contente d’être enfin en Iran qu’elle remplit un sac plastique troué de son déjeuner et diner de la veille. Et comme elle est même hyper contente on décide de passer ce mercredi 13 mai ici. Début du weekend en Iran, le mercredi soir est synonyme de pique-nique party. Le parc se remplit et une famille installe une tente juste à côté de la notre. Des jeunes nous proposent alors de nous montrer un endroit où passer la nuit au calme. A peine le parc quitté, des militaires en jeep nous tombent totalement par hasard dessus. Altercations, bousculades et pleurs, un des jeunes est embarqué les larmes aux yeux. On ne le reverra pas. Pour nous la sanction est lourde : les militaires s’assurent qu’un thé nous soit servi dans le café du coin, puis qu’on soit installés à l’étage sur des tapis bien confortables.

Après une journée et demi de vélo Charlotte est de plus en plus contente. On soupçonne la nourriture du cher Avo d’avoir provoqué un tel engouement. On arrive donc à Marand en stop à quatre sur une banquette 2 places, accueillis par le légendaire hôte Akbar. Ses amis nous sont d’une précieuse aide. On termine quand même aux urgences. Peu rassurant quand on ne comprend rien. Une petite perf et d’autres liquides non identifiés injectés par intraveineuse plus tard, Charlotte est miraculeusement sur pieds. Un grand merci à Mohammed qui nous emmène à l’hôpital, nous attends et nous ramène en ville après un arrêt déjeuner dans sa famille.

Tableaux tapis
Charlotte va beaucoup mieux le samedi 16 mai et on roule de nouveaux tous ensemble avec Gökben et Nicolas. Sur la route on nous donne à manger, on nous salue, on nous sourit, on nous prend en photo. La dure vie de star. On en oublierait presque la conduite suicidaire des Iraniens. On arrive à Tabriz, où Hussein rencontré la veille, nous attend avec toute sa famille. Au programme, réparation des vélos, échange de devise car impossible d’utiliser une carte de crédit en Iran, visite guidée de Tabriz et de son bazar couvert le plus grand du monde, repas gargantuesque au sol et séances photos à faire rougir nos mariages.

Après trois jours magiques et 2 heures de négociation intensive, le mardi 19 mai, on embarque nos quatre vélos et vingt sacoches dans un bus direction la capitale, Téhéran. Le marathon des visas va pouvoir commencer. Il nous faut obtenir les visas pour le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Mais avant il nous faut des lettres de recommandation de l’ambassade française.
Le mercredi matin on a donc rendez-vous en France. C’est assez déroutant de retrouver un gendarme français, des fonctionnaires français et les jours fériés français. En Iran le weekend est le jeudi et vendredi. Pour les ambassades c’est le vendredi et samedi. Mais comme c’est la pentecôte, ce dimanche est férié pour l’ambassade française. Résultat : on aura nos lettres lundi et pas avant.

Sur les hauteurs
C’est l’occasion de passer cinq jours chez Zahra et Mahdi, hôtes couchsurfing. On découvre de nouveaux plats, on va faire un pique-nique dans les montagnes au nord ouest de Téhéran et on se repose. On découvre également le métro où les femmes ont un wagon rien que pour elles. Mais à Téhéran les gens sont tolérants et les femmes sont acceptées aussi dans les autres wagons, malgré les campagnes de pub anti « femmes dans les wagons pour hommes » affichées en grand. Par contre dans le bus c’est chacun de sont coté, il ne faut pas abuser non plus.

VIPLe lundi 25 mai arrive enfin. On court à l’ambassade française récupérer ces fameuses lettres qui sont d’ailleurs datées du jeudi précédent, on attend devant l’ambassade Ouzbek, on donne les documents, on nous dit de revenir dans 8 jours pour le visa, on court à l’ambassade Tadjik, on nous demande si on a tous les documents, on dit oui, on nous dit qu’il y a un problème technique donc pas de visa pendant une semaine, on nous dit revenez plus tard…

 

Le lendemain on déménage. 20 kilomètres de vélo au milieu de Téhéran pour rejoindre l’école française. Après une petite présentation de notre voyage on met les vélos en sécurité et le directeur de l’école, Sébastien, nous invite à passer la soirée chez lui avec sa femme Nathalie. Apéro, vin, saucisson et fromage français en Iran, ça n’a pas de prix. Un régal. Plein de force on repart le soir même en bus de nuit vers Ispahan.

Sheykh Lotfollah
On attaque les visites dès 7h du matin en suivant Mahdi, rencontré grâce à warmshower et qui, ne pouvant nous héberger, insiste quand même pour nous servir de guide privé. On enchaine les mosquées, palaces, et autres merveilles de cette ville. Avec deux heures de sommeil dans le bus, par moment on lutte un peu, tel des élèves en voyage scolaire devant leur professeur. Le soir c’est Soroosh et sa famille qui nous accueillent comme des rois encore.

Siose Pol - Ispahan
Le jour d’après, rebelote, rendez vous avec Mahdi le boulimique de la visite à 9h30. Mosquée, ponts, bazar, restaurant, cimetière des martyrs. Cimetière ?? Il insiste alors on suit. Placardés dans toutes les villes, on avait déjà vu des photos de ces morts aux combats principalement dans la guerre Iran Irak. Mais aux cimetières on découvre certains visages particulièrement juvéniles. Il n’y a pas d’âge pour croire au paradis, et il n’y a pas d’âge pour y aller quand on est basij.

Le vendredi 29 mai, on fait faux bond à Mahdi et c’est avec Soroosh qu’on découvre la somptueuse cathédrale de Vank et le palace Chehel Sotun, entrecoupé d’une sieste aux heures chaudes. Changement de guide, changement de rythme. Ça nous convient parfaitement. Le soir on est invité à un repas de famille à la campagne. Loin des regards on découvre l’autre Iran. Pas de voile, des femmes qui chantent, de l’alcool. Ca ressemble étrangement à partout, même en mieux tant l’ambiance est agréable. Un beau cadeau pour l’anniversaire de Gökben qui a le droit à un joyeux anniversaire en Farsi. Mais il paraît qu’il faut faire attention, la police des religions veille.

Entrée de Persepolis
Il est temps de partir encore plus au sud vers Shiraz, et son fameux site de Persepolis. On le visite à l’ouverture mais la chaleur écrasante dès 10h nous oblige à passer une grande partie de la journée à siester à l’ombre. Le soir Ali nous héberge. Il vit seul et a de la place. Enfin pas si seul que ça, les cafards sont en fait les maitres des lieux.

Retour à Téhéran et dans les ambassades. On récupère le visa ouzbèk et on demande le visa Tadjik. Maintenant que le visa ouzbèk est sur notre passeport on est autorisé à faire la demande pour un visa de transit au Turkménistan. Le lendemain, une heure avant l’ouverture de l’ambassade on est déjà devant, fier d’être les premiers. Un peu moins quand on réalise qu’aujourd’hui c’est férié, et les trois prochains jours aussi.

Kashan
Un petit tour en bus direction Kashan où on passe deux jours entre jardin et maisons traditionnelles et nous revoilà à Téhéran, devant l’ambassade Turkmène. La petite fenêtre s’ouvre, un homme nous donne deux papiers à remplir, referme, puis s’en va laver une voiture. 1h30 plus tard on est autorisé à rendre ce papier. Voilà, revenez dans une semaine.

On passe quelques jours avec Sofia, une franco iranienne qui travaille à l’école française. Elle nous invite dans une maison à l’écart de la ville. Piscine, musique, barbecue. On passe un excellent weekend et très relaxant, en compagnie de ses amies et de son père.

Bazar de Téhéran
Le lundi 15 juin on tente de récupérer le visa turkmène. Après une heure d’attente la fenêtre s’ouvre et annonce que le consul n’est pas là, ni demain. On n’a plus le choix, il faut partir et essayer de récupérer ce fameux visa à Mashad, dernière grande ville avant le Turkménistan. Mais avant de quitter la capitale, la famille de Faranak, colocataire de Sofia, insiste pour nous inviter à un repas gargantuesque. Encore une soirée inoubliable tant l’accueil est chaleureux.

On quitte Téhéran pour de bon le mardi 16 au soir. Cette course aux visas désastreuse nous a quand même permis de passer de très bons moments, notamment avec Sofia et ses amies, et avec Nathalie et Sébastien qui ont grandement facilité notre séjour dans cette ville décidemment trop grande.

Ramadan
Arrivés à Mashad au petit matin, on est soulagés quand on récupère les visas pour le Turkménistan sans problème. On peut sereinement passer un peu de temps avec Mernoosh et sa famille. Elle nous accueille chez elle dans un français presque parfait. Son mari et elle nous infiltrent dans l’immense mausolée de l’imam Reza, nous invitent à rompre le jeûne du premier jour de ramadan avec leur famille, nous font découvrir les sorties à la campagne dans un centre commercial à 1h du matin, nous retiennent un jour de plus que prévu par leur gentillesse et nous promettent de nous prévenir si un jour ils viennent en France.

Vers le Turkménistan
Toutes les bonnes choses ont une fin. Celle de l’Iran s’approche à grand pas. Après cinq semaines sans pédaler on reprend la route le samedi 20 juin. Dans notre grande sagesse on a attendu le dernier moment pour repartir. On doit parcourir deux cents kilomètres en deux jours pour atteindre la frontière avec le Turkménistan. Pas forcément ce qu’il y a de mieux pour une reprise. Mais les paysages désertiques sont fabuleux. On croise Michael qui a la même route. On file donc à trois vers la frontière. Encore un miracle en Iran : un camion de glace nous invite à partager le petit déjeuner à 8h30 alors qu’il doit déjà faire dans les 30 degrés. On roule non stop jusqu’à la ville frontière de Sarakhs. La chaleur m’épuise et coupe la faim. Après deux petites heures de pause, je suis toujours aussi blanc. Mais on doit passer la frontière. Michael reste ici car son visa ne commence que demain. Le notre a commencé hier. Devant nous, 500 kilomètres de désert à traverser en 5 jours. Je ne me suis jamais senti aussi mal depuis le départ du voyage. Ça promet.

Contrôle des passeports. Un dernier regard à nos deux acolytes, Khomeini et Khamenei.

On ne peut pas tromper une personne mille fois. Enfin si on peut tromper mille personnes … mille fois. Non. On peut tromper une fois mille personnes mais on ne peut pas tromper une fois mille personnes.
Enfin bref, nous on ne s’est pas trompé on venant en Iran.

Galerie photos

4 Comments

  • Bonjour et bien dites donc que de périples ! 30 ° c’est ce qu’on a en France depuis quelques jours alors dur dur de reprendre le vélo après un arrêt aussi prolongé .
    Ah l’administration pas mieux qu’en France alors .
    Super les accueils que vous avez mais Charlotte fait attention à ce que tu manges !
    C’est vraiment génial de nous faire partager tout cela , bon vent et bises à vous deux !!

    • 30 degrés c’était l’Iran. On est passés au stade au dessus en traversant le Turkménistan et en pédalant en Ouzbékistan avec des températures qui tournent autour de 40 – 50°C … mais on adapte nos horaires de pédalage.
      Pour la nourriture, le pire c’est que nous avions tous les 4 mangé la même chose … Je reste optimiste, on goûte quand même les spécialités locales (il serait dommage de passer à côté), les intestins détraqués font partie des plaisirs des voyageurs dans ces pays … mais heureusement rien de bien grave.
      bises !

  • Votre carnet de voyage est d’une beauté à couper le souffle, on voyage un peu avec vous et on ne se lasse pas de regarder vos photos et vos commentaires qui font mouches à chaque fois; Contente d’apprendre que malgré un petit soucis bien connu de tous les voyageurs, vous alliez bien. Vite, Vite à la prochaine !

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